Gabriel accompagne sa mère embauchée pour l’été comme domestique dans la haute bourgeoisie. Les marais et les kilomètres de landes qui entourent le domaine sont une promesse de bonheur pour ce jeune homme passionné de nature et d’ornithologie. Pourtant, dès son arrivée, il se sent mal à l’aise et angoissé. Le décorum et l’atmosphère figée de la demeure déclenchent chez lui des pulsions incontrôlées de colère, de désir, de jalousie. Et quand les petits-enfants des propriétaires débarquent, avec parmi eux la belle et inaccessible Éléonore, Gabriel ne maîtrise plus rien de ses émotions. Désormais, c’est eux et surtout elle qu’il observe à la longue-vue. Désormais, le fils de la domestique est prêt à tout pour se faire aimer car il est fou d’elle. Jusqu’à la mettre ou se mettre lui-même en danger…
INTERVIEW JO WITEK
Le Domaine se place dans la continuité de vos précédents thrillers et pourtant le malaise s’installe plus lentement, par petites touches. Quel a été votre parcours d’écriture pour ce nouveau roman ?
Pour Le Domaine, j’ai voulu revenir à une forme plus classique, plus descriptive, remettre en cause cette notion d’efficacité du thriller, ce fameux “turn page”, souvent très attendu des lecteurs. J’ai creusé le sillon, me méfiant de mes automatismes, mais aussi de ceux véhiculés par notre mémoire commune du cinéma noir. Je souhaitais un roman décontextualisé, qui reviendrait aux sources du genre, le macabre et le romantisme. Je me suis replongée avec délice dans les romans gothiques anglais comme Les Mystères d’Udolphe d’Ann Radcliffe ou au coeur du romantisme cruel d’Emily Brontë dans Les Hauts de Hurlevent. J’avais envie d’un héros sensible, pur, romantique, un garçon cheminant dans une nature aussi fascinante qu’inquiétante, où se jouerait une situation tout à fait moderne, mais dans un contexte hors du temps. Dans ce domaine, immense propriété forestière au milieu d’hectares de Landes, il n’y a pas de nouvelles technologies. Pas de réseau, pas d’ordi, peu de téléphones. Je me débarrasse de tout cela pour me concentrer sur ma situation : un héros débarque dans un milieu social très supérieur au sien, une nature de plus en plus angoissante, et de nouveaux sentiments le submergent : des colères, des jalousies, des désirs… C’est vraiment un héros contemporain parce qu’il n’a pas les règles du jeu de la société dans laquelle il est forcé d’évoluer. Pour moi, écrire un thriller c’est faire un pacte avec le lecteur : vous allez vous perdre, avoir peur et je vous promets que vous ne devinerez pas le dénouement avant la fin. Cette fois, j’ai accepté de moins construire l’action en amont, de me perdre moi aussi dans les Landes, quitte à rebrousser chemin plusieurs fois ! C’était assez angoissant et en même temps jubilatoire. Surtout que j’ai eu la chance grâce à une résidence d’écriture de travailler dans mon décor naturel, au coeur du Parc régional de Gascogne dans la maison de vacances des Mauriac. D’ailleurs, la mémoire du jeune François Mauriac est présente dans le roman, en filigrane, le souvenir d’un garçon enfermé lui aussi, écrasé par son héritage familial et ses hectares de terres boisées.
Gabriel est un personnage aussi fascinant qu’inquiétant !
Comment s’est construit ce héros romantique ?
Gabriel Delaire arrive dans ce domaine, un château de la haute société, avec sa mère embauchée comme aide-cuisinière pour deux mois. Il l’accompagne car il y a un marais exceptionnel derrière ce château, entouré de kilomètres de landes et il sait, en tant que féru de nature et ornithologue amateur, qu’il va pouvoir se régaler. Cependant, dès son arrivé, Gabriel ne va pas être à l’aise avec cette nature : quelque chose ne va pas. Il est inquiet, alors qu’il ne l’a jamais été. C’est un garçon qui peut se balader la nuit sans problème, marcher au milieu de nulle part. Il est beaucoup plus mal à l’aise avec les humains. Mais là, très vite, la nature l’angoisse, il se sent épié. Il n’aime pas cette hyper hiérarchisation sociale au sein du château, avec ces gens, le comte et la comtesse, qui dominent et dictent leurs ordres. Il y a quelque chose de caché derrière tout ça, il en est persuadé. D’un autre côté, d’étranges pulsions, un peu sauvages, viennent l’habiter. Une colère, une jalousie, un désir sexuel très fort pour Éléonore. Éléonore de La Guillardière est la petite-fille du comte et de la comtesse et fait partie de la bande de cousins qui débarquent. Gabriel n’était pas préparé à ça, pensant qu’il serait le seul adolescent au château. Deux cultures, deux mondes sont confrontés. Il se sent un peu dévalorisé et humilié mais, avant tout, fou d’amour et prêt à tout pour se faire aimer de la jeune fille. Il commence à l’observer tel un oiseau. Gabriel est ferré par un amour extrêmement pur et idéalisé. Sa passion amoureuse, sa dépendance à Éléonore vont provoquer quelques heurts, fracas, et même un peu plus que ça.
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“Elle n’est pas pour toi, Gabriel. Oublie. Cette fille n’est pas à ta portée. C’est une héroïne de roman, une diva, une princesse moderne. D’ailleurs, elle ne te regarde pas. Son indifférence n’est pas une posture, tu t’es trompé. C’est juste qu’elle ne te voit pas et ne te verra jamais. C’est normal. Dans l’ordre des choses. Quelle fille aimerait un mec de seize ans qui passe son temps à regarder les oiseaux ? À lire ? Qui se lève à cinq heures du matin et préfère passer la nuit à écouter coasser les rainettes que de s’agiter sur les dancefloor branchés ? Quelle fille aimerait le fils de la domestique ? Pas elle, en tout cas. Pas Éléonore de La Guillardière. Oublie. Et puis, elle t’a vu à poil, alors, c’est mort.
Pourtant, même s’il n’y croyait pas, Gabriel sentit dès les applaudissements que son été venait de basculer.
Désormais, son désir l’attachait au domaine.
Désormais, il n’avait d’yeux que pour elle.”
Depuis 2009, JO WITEK écrit pour la jeunesse, explorant les genres, ses envies, l’humain à hauteur d’enfant ou d’adolescent. En dix ans, elle a publié une quarantaine d’ouvrages, albums, romans et documentaires et reçu autant de prix littéraires francophones.
Chez Actes Sud jeunesse, elle est l’autrice d’Une fille de… dans la collection “D’une seule voix” (Prix des Lycéens allemands) et de plusieurs romans pour ados : Le Domaine, Un hiver en enfer, Rêves en noir, Peur Express, Un jour j’irai chercher mon prince en skate, Premier arrêt avant l’avenir (mention spéciale du prix Vendredi), J'ai 14 ans et ce n'est pas une bonne nouvelle (Prix Babélio) et Les errantes.
Mais aussi, deux romans pour les 9-12 ans, Une photo de vacances et Y a pas de héros dans ma famille. Elle a également signé les albums Dans la boutique de Madame Nou (illustré par Nathalie Choux) et Petits poids plume (illustré par Charles Berberian).
En juin 2021, elle inaugure chez Actes Sud jeunesse une nouvelle série pour les 8-12 ans : Le Clan des Cabossés.
Photo © Christelle Soria